

Septaubre - La maison
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Pas un
bruit... Seulement le vent qui court inlassablement entre les lauzes et s'enfuit aussi
vite qu'il n'était venu pour jouer sur les murs de granit beige. Pas un bruit... La porte
fermée sur l'espace clos de ma chambre. J'imagine la moquette bleue marine, le petit
coffre de bois piqué de clous de cuivre, le grand bureau blanc immaculé, les étagères,
des livres, des livres jusqu'au plafond, les poutres de chêne sombres et rêches, grands
bras osseux, tendus, s'arc-boutant sous le poids des milles facettes de la toiture de
pierre. J'imagine le lambris de pin, je le sent et puis il y a la petite croix au dessus
de mon lit, discrète, presque invisible, simple croisée de bronze au liseré pourpre
émaillé. J'aime cette croix, non pas pour ce qu'elle représente mais pour ce qu'elle
est. Lignes pures, ses deux croisillons s'élargissent légèrement aux extrémités.
Croix centenaire qui a vu d'autres dormir. Perdu sous les couvertures, mon regard se
promène serein dans cet univers dont il connaît les moindres recoins, les plus petits
détails et même ce que l'on ne connaît pas, les figures fugitives que la lumière
d'automne se plaît à dessiner sur l'étendue bleue du sol, le bruit des murs qui
gémissent, le parfum des soirées d'hiver...
Je me sent bien ici, je voudrais presque dire en sécurité,
loin des folies de la sur-concentration des villes, loin, infiniment loin de tout cela. Le
son sourd du battant de la chaudière remonte des entrailles de la maison. Mon père? Ma
mère? remet du bois au sous-sol. Il fait bon sous cette couette... J'ouvre un oeil. Une
lumière diffuse baigne ma chambre. Il fait beau dehors, du brouillard pour l'instant et
certainement très froid. Soudain, j'ai hâte de voir tout cela. Je descends avec vigueur
de mon lit. Saisi par le froid, j'enfile vite un pantalon, un pull de laine et descends
trois par trois les marches de l'escalier. D'un pas rapide j'arrive dans la cuisine. Là,
sur la table se trouve un grand bol de grès brun, de la confiture de prune, un verre de
jus d'orange et des croissants encore chauds. Mon père est certainement allé les
chercher tôt ce matin.
- Bonjour, je voudrais un pain et ... quatre croissants s'il
vous plaît.
Le boulanger à du répondre:
- Votre fils est revenu de Paris?
Cela me fait sourire, petit village... Je m'attable et englouti
avec avidité deux croissants, trois tartines et un grand bol de chocolat. Que de choses
à faire aujourd'hui! Il me faut des forces. Du reste le seul fait de me trouver ici
suffirait à m'en donner. Au sous-sol, j'enfile une vielle veste de chasse, rapiécée ca
et la, dans la poche droite, un couteau et un bout de ficelle. J'ouvre la porte du
sous-sol, l'air frais me saisit au visage. Que de beautés ! Où que mon regard aille, ce
n'est que ravissements, parfums, couleurs, brun des feuilles de noyer, lichens verts
tendres, toile d'araignées argentées, odeur de la terre qui fume... J'avance en
chaussettes, mes chaussures à la main, sur les dalles glaciales puis m'assied, humant ce
paradis. Derrière moi, Vanille arrive comme une trombe, elle tourne, saute, se
tortille de joie, roule, repart comme une fusée, démente, le museau au ras de l'herbe,
tourne brusquement, revient me bouscule, aboie. Quelle fête! Bon chien! Quelques tapes,
à peine debout elle part déjà sous le porche de la grange devinant mes projets. Vanille!
Je cours après elle et me voyant elle s'enfuit de plus belle. Sous la grange, de grandes
pilles de bois, l'odeur tiède du foin qui descend de l'étage. Quelques pas... une
voie m'arrête.
- Bonjour.
- Bonjour, Maman.
- Tu as bien dormi?
- Très bien, qu'est ce que vous faites ce matin?
- Ton père est descendu donner du foin à l'Annet, moi
je dois faire un peu de peinture au four à pain. Et toi, tes projets?
- Je vais à la cascade.
- A tout à l'heure alors.
Je prends le chemin des Bouilles, saute par dessus une
barrière. Premiers pas dans la châtaigneraie, je m'arrête, une joie immense m'envahit;
Du murmure du ruisseau de Loncaille, aux pacages gelés du moulin de l'Annet,
jusqu'au chemin abrupte là-bas, Ma Terre, Septaubre. |